Interdiction d'entrer dans la bande de Gaza, où Israël poursuit son offensive, pour les journalistes internationaux. "A cran" comme ses confrères, Benjamin Barthe, le correspondant de L'Express au Proche-Orient, raconte des conditions de travail plus qu'insatisfaisantes.
Comment couvrir la guerre à Gaza actuellement? Quelques centaines de journalistes se heurtent à cette question depuis le début de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza, fin décembre. Car si Israël laisse passer quelques humanitaires, notamment au point de passage d'Erez, la frontière reste désespérément fermée aux journalistes étrangers.
L'armée israélienne avance des raisons de sécurité: si un journaliste était blessé ou tué, il en irait de la responsabilité du commandement de l'armée. "Nos soldats ne vont pas se sacrifier pour les protéger", a affirmé Daniel Seaman, chef du bureau de presse gouvernemental, chargé des accréditations délivrées aux journalistes étrangers.
Parmi la "caravane de plusieurs centaines de journalistes à cran", Benjamin Barthe, le correspondant de L'Express en Israël et dans les territoires palestiniens... Joint par téléphone par LEXPRESS.fr, il déplore ces conditions de travail.
Du "journalisme potager", par défaut
"C'est du reportage de guerre... version journalisme potager! On se rapproche de Gaza, pas trop près surtout, car une zone de sécurité a été décrétée par l'armée israélienne. On cherche une colline ou une butte, on grimpe dessus, on met une main en visière, on se hisse sur la pointe des pieds... "Soeur Anne, ne vois-tu rien venir?" Tout ça pour assister au spectacle pyrotechnique des tirs israéliens et palestiniens, façon film muet."
Faute de pouvoir entrer, les médias étrangers s'en remettent à leurs sources de Gaza, photographes, fixeurs palestiniens ou boîtes de production indépendantes. "La BBC a même un producer palestinien qui a été propulsé reporter et passe à l'écran, faute de journaliste maison. Mon fixeur aussi passe à la télévision française!", raconte Benjamin Barthe.
Mais si l'on a "les images et les témoignages, l'impact n'est pas le même", selon le journaliste qui a reçu le prix Albert Londres en 2008 pour sa couverture de l'actualité du Proche-Orient.
Israël a tiré des leçons du Liban en 2006... et joue sur du velours aujourd'hui
"Quand les grandes chaînes internationales rapportent le carnage de Cana, au Liban, en 2006, Israël est contraint de freiner son intervention militaire. Aujourd'hui, quand un bombardement fait 40 morts dans une école de la bande de Gaza, ça passe. Parce que, pour caricaturer, Christiane Amanpour, la star de CNN, est coincée à Jérusalem et qu'elle n'en parle que 10 minutes à l'antenne alors que, sur place, son sujet tiendrait plus de deux heures".
En clair, "Israël a tiré des leçons du Liban en 2006... et joue sur du velours aujourd'hui". D'autant que l'Etat hébreu développe, en complément de cette interdiction des médias étrangers dans la bande de Gaza, une véritable stratégie de communication.
Une société britannique de relations publiques ayant travaillé pour les gouvernements libanais et nord-irlandais a ainsi été spécialement embauchée; l'armée israélienne met en ligne des vidéos de ses opérations sur sa chaîne Youtube; ses services de com' répondent à la presse et aux internautes sur Twitter...
"Il y a des points que nous voulons aborder et nous essayons de disséminer nos idées et nos messages", explique simplement Aviv Shir-On, responsable des relations avec les medias au ministère israélien des Affaires étrangères, cité par le New York Times.
Le droit de passer accordé... par tirage au sort
Cette tentative de contrôle de l'information et, surtout, ce refus de laisser les médias internationaux entrer à Gaza constituent "une violation grave de la liberté de la presse", aux yeux de l'Association de la presse étrangère (Foreign Press Association, FPA) qui, dans un communiqué publié la semaine dernière, compare Israël à la "poignée de régimes qui empêchent régulièrement les journalistes de faire leur travail". Comme "le Zimbabwe ou la Birmanie", complète Benjamin Barthe.
La FPA a donc déposé un recours devant la Cour suprême israélienne afin d'entrouvrir les portes de Gaza... "La Cour suprême lui a donné raison. L'armée a donc du négocier avec la presse, laborieusement, et un arrangement a été conclu mercredi 31 décembre: quand des humanitaires entreront à Gaza, un groupe de huit journalistes, essentiellement des correspondants, pourront se glisser avec eux. La FPA a choisi de désigner les heureux élus et leur ordre de passage... par tirage au sort, en présence d'un avocat", raconte notre correspondant.
Et depuis? "On attend!" Plus précisément, selon le New York Times de mercredi, trois groupes de journalistes étrangers ont déjà été contactés pour passer la frontière... "avant de devoir faire demi-tour, pour des raisons de sécurité... alors que les humanitaires, eux, pouvaient passer. Depuis mardi, on